DROIT DE LA CONSTRUCTION : GARANTIE DÉCENNALE ET DÉSORDRES ÉVOLUTIFS.

L’engagement de la responsabilité décennale d’un constructeur implique la réunion de plusieurs conditions cumulatives, au titre desquelles se trouvent notamment l’existence d’un ouvrage, une réception de travaux, l’existence de désordres d’une certaine gravité, et le caractère non apparent (ou non réservé) de ces désordres au moment de la réception.

Ce n’est qu’à de telles conditions que la garantie décennale pourra être mise en œuvre, sans nécessité d’établir la preuve d’une faute, puisqu’une présomption de responsabilité pèse alors sur le constructeur.

Le caractère réservé du désordre n’empêche cependant pas toute action sur le fondement de la garantie décennale, dans la mesure où ce désordre peut être évolutif. La troisième chambre civile de la Cour de cassation revient sur cette notion dans un arrêt du 21 septembre 2022 [1].

Rappel des faits et de la procédure.

Dans cette affaire, une société civile immobilière entreprend, en 2012, des travaux de surélévation d’immeuble. Le lot gros œuvre est confié à une association, et la réception des travaux, réalisée le 24 octobre 2012 comprend certaines réserves.

Après réalisation d’une expertise judiciaire, le maître d’ouvrage assigne notamment l’assureur de l’association en indemnisation de ses préjudices.

La Cour d’appel d’Aix en Provence met hors de cause l’assureur, au motif que les désordres ont été réservés lors de la réception des travaux.

Elle en déduit que ces désordres relèvent de la garantie parfait achèvement et que la garantie décennale ne peut donc être mobilisée.

Dans son pourvoi, le maître d’ouvrage soutien que les désordres réservés ne font pas obstacle à la responsabilité décennale du constructeur, dans la mesure où ils ne s’étaient pas, au moment de la réception, révélés dans toute leur ampleur et leurs conséquences.

Décision de la Cour de cassation.

Conformément au moyen soulevé par le maître d’ouvrage, la Troisième chambre civile de la Cour de cassation estime que les dispositions relatives à la garantie parfaite achèvement ne sont pas exclusives de l’application des dispositions concernant la garantie décennale.

Elle reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir envisagé le caractère évolutif des désordres par suite de la réception.

Pour se déterminer ainsi, elle revient sur le rapport d’expertise amiable qui fait apparaître un risque réel d’affaissement de l’immeuble.

Elle casse ainsi l’arrêt d’appel qui empêchait au maître d’ouvrage d’obtenir, sur le fondement de la responsabilité décennale et auprès de l’assurance du constructeur, réparation des désordres.

Apport de l’arrêt.

La troisième chambre civile rappelle que le caractère réservé du désordre n’empêche pas l’action sur le fondement de la garantie décennale, à la condition que ce désordre présente un caractère évolutif, et qu’il n’ait donc pas, au moment de la réception, été connu dans son ampleur et ses conséquences.

Cet arrêt de cassation présente un intérêt en ce qu’il confirme une jurisprudence qui a évolué au fil des arrêts.

Les conditions d’une telle mise en œuvre impliquent de s’attarder sur la notion de désordre évolutif.

Pour être qualifié de décennal, le désordre réservé doit, en principe, présenter les caractéristiques nécessaires (impropriété à destination…) dans le délai d’épreuve de dix ans.

À ce titre, le délai d’épreuve doit être distingué du délai d’action, de dix ans également, mais susceptible d’interruption en cas notamment de procédure.

Il a toutefois été admis par la haute juridiction qu’un désordre évolutif pouvait être qualifié de décennal, même en générant une impropriété à destination au-delà du délai d’épreuve, sous réserve d’être la conséquence ou d’avoir une identité de cause avec un autre désordre dénoncé dans ce délai [2].

Étant enfin précisé qu’un désordre, réservé au moment de la réception, ne peut permettre d’engager la responsabilité décennale du constructeur, si au moment de la réception, il remettait déjà en cause la solidité de l’ouvrage et si « les maîtres d’ouvrage avaient eu conscience d’une atteinte à la structure du bâtiment au-delà du seul aspect esthétique » [3].

Guillaume Blanche
Avocat au Barreau de Pau

 

[1] Cass., 3e civ., 21 sept. 2022, n°21-16.402.
[2] Cass., 3e civ., 18 janv. 2006, n° 04-17.400.
[3] Cass, 3e civ., 16 nov.2017, 16-24.537.

 

ACTUALITÉ DU VICE CACHÉ EN MATIÈRE IMMOBILIÈRE ET CLAUSE EXONÉRATOIRE.

La découverte de désordres dans une maison nouvellement acquise est souvent l’occasion d’une action pour vice caché, aux fins notamment de faire financer les travaux de réparation par le vendeur.
Une clause de style, contenue dans les compromis de vente, exonère cependant le vendeur de sa garantie en la matière, à moins de prouver que ce dernier avait connaissance du désordre préalablement à la vente.

La qualité de professionnel du vendeur joue alors un rôle de premier ordre, puisque les tribunaux considèrent que ce dernier ne pouvait ignorer les désordres.

L’arrêt n°21-21.143 de la 3ième chambre civile du 15 juin 2022 revient sur cette qualité de professionnel, élargissant le spectre de ses compétences, aux fins de faire prospérer l’action en vice cachée de l’acquéreur.

1. Rappel des faits.

Dans cette affaire, un maçon a fait l’acquisition, en 1990, d’une ancienne ferme, qu’il a transformée en habitation, en rebâtissant notamment les murs de façades et un mur de refend.

Il a revendu le bien en 2012, et la nouvelle propriétaire a constaté d’importantes fissures au niveau du bâti.

Une expertise judiciaire a été ordonnée, aux termes de laquelle l’expert a conclu à une problématique liée à la qualité des sols.

L’expert judiciaire a reproché au vendeur de ne pas avoir fait réaliser une étude de sol préalablement aux travaux, qui aurait permis de révéler la présence d’argiles, très sensibles aux changements hygrométriques.

Par suite d’une décision de première instance, la Cour d’appel de Besançon décide que le maçon/vendeur ne peut être tenu de la garantie des vices cachés, au motif que sa qualité de professionnel de la maçonnerie n’implique pas nécessairement qu’il possède les connaissances techniques lui permettant d’anticiper ces désordres.

Cette analyse permet une application stricte de la clause exonératoire contenue dans le compromis de vente.

La nouvelle propriétaire se pourvoi en cassation, et la 3ième chambre civile donne une autre interprétation, cassant l’arrêt d’appel et renvoyant les parties devant la Cour d’appel de Dijon.

Pour la haute juridiction, l’article 1643 du Code civil implique que le vendeur qui a réalisé les travaux puisse être considéré comme vendeur professionnel, de manière à priver d’effet la clause exonératoire contenue dans le compromis de vente.

2. Les apports de cet arrêt.

S’il est traditionnellement admis que le vendeur professionnel est réputé connaître les vices affectant la chose vendue, c’est en considération de l’activité qu’il exerce.

Dès lors, l’application de la garantie des vices cachés au vendeur, en raison de défaut du sol, apparaît d’une grande sévérité.

Une telle assimilation revient à conclure à une présomption de connaissance des différents corps d’état, par sa simple qualité de professionnel de la maçonnerie.

Toutefois, une autre lecture de l’arrêt, rappelant les conclusions de l’expert judiciaire, conduit à une analyse plus technique, estimant que le vendeur est « réputé connaître les vices affectant l’immeuble, y compris le sol (…) ».

Sur un plan purement technique, cette analyse fait sens, puisqu’il entre dans le champ de compétence du gros œuvre, de dimensionner les fondations en fonction des descentes de charges et de la résistance du sol, évaluée par une étude de sol.

Cette décision peut être mise en parallèle avec l’arrêt n°21-12.942, de la 3ième chambre civile du 6 avril 2022, qui rejette le pourvoi formé par l’acheteur contre l’arrêt de la Cour d’appel de Riom du 5 janvier 2021.

Dans cette affaire, un couple de vendeurs, qui connaissaient les désordres affectant leur maison, les ont dissimulés aux acheteurs lors de la vente, leur cachant également qu’ils avaient fait réaliser un ravalement complet de façade 7 ans plus tôt pour recouvrir les fissures.

Ils sont mis hors de cause par la Cour d’appel de Riom, dans la mesure notamment où ils n’ont découvert l’origine réelle des fissures que postérieurement à la vente, c’est-à-dire lors de l’expertise judiciaire.

La Cour d’appel confère plein effet à la clause d’exonération des vices cachés, aux motifs que les vendeurs, qui connaissaient les désordres dans leur ampleur, n’en connaissaient pas l’origine exacte.

Comme dans la première affaire, les désordres se sont manifestés par l’existence de fissures au niveau du bâti, dont l’origine se situe au niveau des fondations.

Comme dans la première affaire également, la cause exacte du désordre n’a été révélée que suite à une expertise judiciaire, donc bien après la vente.

Est à dire que la différence de traitement entre ces deux cas ne relève que de la qualité de professionnel du vendeur ?

Une telle analyse ne peut toutefois être soutenue, puisque dans un cas, d’importants travaux ont été réalisés, impliquant une modification de la structure, alors que dans le second, les vendeurs n’ont procédé qu’à un simple ravalement de façade.

 

Guillaume Blanche
Avocat au Barreau de Pau

 

MAÎTRE GUILLAUME BLANCHE
5 place du Foirail
64000 PAU

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